Jerusalem se plaint
Jerusalem se plaint et li pais
U Dameldiex sousfri mort doucement
Que deça mer a poi de ses amis
Ki de son cors li facent mais nient.
S'il sovenist cascun del jugement
Et del saint liu u il souffri torment
Quant il pardon fist de sa mort Longis,
Le descroisier fesissent mout envis;
Car ki pour Dieu prent le crois purement,
Il le renie au jor que il le rent,
Et com Judas faura a paradis.
Nostre pastour gardent mal leur berbis
Quant pour deniers cascuns al leu les vent,
Mais que pechiés les a si tous souspris
K'il ont mis Dieu en oubli pour l'argent
Que devenront li riche garniment
K'il aquierent assés vilainement
Des faus loiers k'il ont des croisiés pris ?
Sachiés de voir k'il en seront repris,
Se loiautés et Dius et fois ne ment.
Retolu ont et Achre et Belleent
Ce que cascuns avoit a Diu pramis.
Ki osera jamais en nul sermon
De Dieu parler em place n'em moustier,
Ne anoncier ne bien fait ne pardon,
[Quant nus ne vuet ne faire n’ensaiier]
Chose qui puist nostre Signeur aidier
A la terre conquerre et gaaignier
U de son sang paia no raençon ?
Segneur prelat, ce n'est ne bel ne bon
Qui son secors faites tant detriier :
Vos avés fait, ce poet on tesmoignier,
De Deu Rolant et de vos Guenelon.
En celui n’a mesure ne raison,
K’il se counoist s’il n’ai avengier
Ceuls ki pour Dieu sont dela emprison
Et pour oster lor ames de dangier
Puis c’on muert ci, on ne doit resoignier
Paine n’anui honte ne destorbier.
Pour Dieu est tout quan c’on fait en son non
Ki en rendra cascun tel guerredon
Que cuers d’ome nel poroit esprisier,
Car paradis en ara de loier,
N’ainc pour si peu n’ot nus si riche don
Jerusalem se plaint - traduction
Jérusalem se plaint, et le pays
Où le Seigneur en sa douceur souffrit la mort, se plaint
Que Dieu n'ait plus de ce côté de la mer que peu de ses amis
Qui ne lui veulent porter secours.
S'il souvenait à chacun du jugement dernier
Et du saint lieu où il endura le supplice
Quand il pardonna sa mort à Longin,
C'est plus malaisément qu'on se décroiserait;
Car celui qui, d'un cœur pur, prend la croix pour Dieu,
Il le renie au jour où il la rend,
Et, comme Judas, il perdra Paradis.
Nos bergers/prêtres gardent mal leurs brebis,
Quand ils les vendent au loup pour des deniers;
Mais le péché les a tous saisis en telle guise,
Qu'ils ont mis Dieu en oubli pour l'argent.
Que feront-ils des riches biens
Qu'ils acquièrent par grande vilenie
Avec les contributions honteuses par eux levées sur les croisés ?
Sachez en vérité que cela leur sera reproché,
Si loyauté, Dieu et foi ne mentent pas.
Ils ont volé à Acre et à Bethléem
Ce que les croisés avaient promis de donner à Dieu.
Qui osera jamais en nul sermon
Parler de Dieu sur les places ou dans les églises
Et annoncer pardons et indulgences,
Quand personne ne veut tenter
Rien qui puisse aider notre Seigneur
A conquérir la terre
Où il paya de son sang notre rançon ?
Seigneurs prélats, ce n'est ni beau ni bon
De retarder si longuement son secours.
Vous avez fait, en vérité
De Dieu Roland, et de vous Ganelon.
Il n’y a ni sagesse ni raison
En celui qui reconnaît ces choses, s’il n’aide pas à venger
ceux qui, par delà la mer, sont en prison pour Dieu
Et pour ôter leurs âmes de péril.
Puisqu’on meurt aussi bien ici, on ne doit redouter
Peine ni ennui, affront ni dommage.
Tout ce qu’on fait au nom de Dieu est un présent qu’on fait à Dieu
Qui en paiera à chacun une récompense telle
Que nul cœur d’homme ne peut l’apprécier,
C’est paradis qu’on recevra en salaire,
Et jamais nul ne reçut pour si peu si riche don.