La Messe de Notre-Dame de Guillaume de Machaut marque un tournant dans l’histoire de la musique médiévale. Pour la première fois, au XIVe siècle, une messe entière est pensée comme une œuvre cohérente, habitée, écrite pour durer. Bien avant Mozart, c’est peut-être là que naît l’idée même de compositeur. Antoine Guerber et Diabolus in Musica redonnent souffle à cette œuvre fondatrice, dans une interprétation fidèle, sensible et résolument vivante, bientôt chantée à Notre-Dame de Paris.
Une messe, une révolution
Antoine Guerber la décrit comme une borne dans l’histoire musicale. Avant Machaut, la messe était chantée en plain-chant : une seule voix, un seul souffle.
La polyphonie médiévale existait déjà, mais timidement et rarement sur l’intégralité d’un office. Elle se développait plutôt autour de la liturgie, lors de fêtes ou de cérémonies exceptionnelles. Avec Guillaume de Machaut, tout change : pour la première fois, un compositeur écrit une messe entière à quatre voix, couvrant les six parties de l’ordinaire – Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei, Ite missa est – dans une unité stylistique rare. Ce n’est plus une suite de fragments mais une œuvre construite.
Antoine Guerber y voit la naissance d’un geste artistique nouveau : « Je maîtrise les choses et je fais vraiment une grande œuvre musicale. »
Un monument habité
Mais cette messe n’est pas seulement un exploit technique : elle porte la marque intime de son auteur.
Guillaume de Machaut, compositeur du Moyen Âge et chanoine à Reims, créa une fondation pour qu’on chante cette messe chaque année après sa mort. C’est un hommage à la Vierge… mais aussi à lui-même. Antoine Guerber y perçoit un geste personnel, presque testamentaire. Ce respect explique pourquoi il a attendu avant de la diriger. Il voulait une équipe de chanteurs soudés, capables de chanter à quatre voix solistes, sans micro, sans filet. Et surtout, il voulait que cette œuvre vienne à lui : ce n’est qu’une fois qu’on la lui a demandée qu’il a accepté de l’aborder. Il évoque la difficulté rythmique, la finesse des équilibres, l’écoute constante que réclame ce type d’interprétation. Il ne s’agit pas de briller mais d’entrer dans une écoute profonde et une précision partagée.
L’architecture comme cinquième voix
Et puis, il y a l’espace.
« L’architecture, c’est notre cinquième chanteur. » – Antoine Guerber
Les voix réagissent aux pierres, aux silences, aux volumes. Certaines églises révèlent la musique, d’autres la brouillent. Il parle de lieux « magiques », où tout devient limpide sans qu’on sache exactement pourquoi. Le lieu transforme profondément l’interprétation. Avant chaque concert, les chanteurs testent l’acoustique, adaptent leur respiration, ajustent les équilibres. Certains lieux exigent plus de retenue, d’autres appellent une ampleur différente. Dans les cathédrales, tout est plus lent : le son se prolonge, les silences durent.
Cette sensibilité aux lieux n’est pas une coquetterie d’interprète. C’est une condition de justesse et un hommage à une époque où architecture et musique servaient un même souffle.
Une relation intime
Avec le temps, Antoine Guerber s’est senti de plus en plus lié à Machaut. « Il y a quelques personnalités comme ça qui vous attirent particulièrement, on ne sait pas pourquoi… Moi, je me suis beaucoup lié à Guillaume de Machaut et à Guillaume Dufay. » Deux figures qui l’accompagnent comme des présences.
Faire entendre leurs œuvres, c’est pour lui une manière d’être fidèle. Non pas en les figeant, mais en leur redonnant souffle. Il compare souvent ce travail à celui d’un restaurateur de tableaux anciens : raviver sans trahir.
Une œuvre qui inspire encore
Ce souffle, justement, continue de traverser les siècles.
Le dialogue entre Machaut et Machuel
En 2020, le compositeur Thierry Machuel imagine Notre-Dame des Flammes, une œuvre contemporaine en dialogue avec la messe de Machaut. Antoine Guerber confie qu’il a d’abord hésité :
« C’était comme toucher à une statue ancienne… faut pas toucher. »
Mais ce qu’il découvre est bouleversant. Thierry Machuel n’ajoute rien de décoratif. Il écoute, prolonge, accompagne. Sa musique s’insinue entre les mouvements, explore le silence, amplifie la présence.
Machaut devient socle, non figé dans un musée mais rendu à sa résonance vivante, grâce à cette nouvelle écoute.
🎧 À écouter : un extrait de Notre-Dame des Flammes, la création contemporaine de Thierry Machuel en résonance avec la Messe de Machaut :
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Une mémoire vivante
La Messe de Machaut n’est jamais tout à fait la même. Chaque concert, chaque lieu, chaque voix transforme l’œuvre. Antoine Guerber le dit clairement : la musique n’est pas figée. Elle vit avec ceux qui la servent. Même une œuvre rigoureusement écrite évolue au fil du temps, influencée par les interprètes, leurs états intérieurs, les conditions d’écoute, l’énergie d’un moment. C’est cette part mouvante, fragile, toujours en devenir, qui fait la force de la musique vivante.
Une œuvre en constante évolution
« Cinq ans après, on ne chante pas tout à fait de la même manière qu’au début. C’est normal. La musique, c’est vivant. » Pour Antoine Guerber, chaque reprise est une redécouverte. Une œuvre comme celle de Machaut ne s’interprète pas mécaniquement. Elle s’approfondit avec le temps, s’enrichit des expériences passées, des liens tissés entre les voix, des lieux investis, des écoutes partagées. Certaines inflexions apparaissent spontanément au fil des concerts : un phrasé plus ample, une tension relâchée, un équilibre vocal qui se déplace. Rien n’est calculé et c’est cela, justement, qui rend la musique vivante.
Antoine Guerber défend une approche organique, toujours en mouvement.Chaque représentation devient une forme unique, née de l’instant, du lieu, de l’attention portée à l’œuvre. Dans cette logique, la Messe de Machaut n’est jamais répétée : elle est toujours rejouée, reformée, ranimée.
Et cette œuvre vivante, Diabolus in Musica l’a fait entendre à nouveau dans un lieu symbolique entre tous : la cathédrale Notre-Dame de Paris, le mardi 24 juin 2024.
« Je ne serai pas sur scène cette fois mais dans le public. Pas très loin… et je sais que ce sera bouleversant. » – Antoine Guerber
Découvrir le programme “Notre Dame des Flammes”